La genèse du roman
Article écrit par Luther Blissett dans Il Piccolo le 30 mars 1999 Par Luther Blissett Fin 1995, nous sommes tombés sur les trois textes qui ont inspiré la conception et la rédaction de L'œil de Carafa. Il s'agit de l'encyclique papale Ut unum sint, de l'essai de Raoul Vaneigem, Le mouvement du libre esprit et du roman de James Ellroy American Tabloid. L'encyclique parle d'un «nouvel oecumenisme» ouvrant la route au project de réunifier les diverses confessions chrétiennes. L'ex-situationiste belge, Vaneigem, explore une vaste faune d'hérétiques et de libertins entre le Moyen Age et l'aube de la modernité. Enfin, James Ellroy, auteur de la plus puissante fresque historique de l'Amérique du second après-guerre, s'attaque au mythe de Kennedy en utilisant les armes d'une «vraisemblance radicale», d'un mécanisme «noir» impeccable et d'un style vertigineux. L'épopée de la chrétienté: 1517, un jubilée imminent, l'ouverture des chantiers de Saint-Pierre, le ratissage des indulgences, la protestation de Luther qui entrâine toute l'Europe du Nord. Le projet de Jean-Paul II : 2000, un jubilée eminent, des chantiers ouverts dans toute Rome, la recomposition du Schisme. Les extraordinaires biographies des héretiques du Libre Esprit, un mouvement fantomatique qui infecte la Réforme en radicalisant ses énoncés. American Tabloid : l'Histoire ainsi que l'ont faite les seconds roles, le remaniement définitif des «grands », enqueter sans scrupules dans le passé pour en extraire des «histoires». Probablement vraies. Fusion symbiotique entre «autrefois» et «maintenant». Un point de départ. Un roman ? La recherche commence. Nous passons plusieurs mois entre archives et bibliothèques. D'incroyables correspondances nous fournissent des indices concernant de possibles conspirations. Des documents falsifiés, déformés ou disparus. Des livres interdits. Des insurrections ratées. Des noms qui affleurent, peut-être des trâitres, ou des héros. Distinguer les corrélations. Composer la trame. L'imposer à l'Histoire. La structure: disposer tous les personnages le long des sentiers qui relient les événements entre eux. Creuser et peaufiner sans cesse. Apporter des réponses à des questions demeurées irrésolues pendant quatre cents ans. Se glisser dans les coins d'ombre de l'Histoire et les exploiter. La méthode : avant tout trouver le style. Nous nous soumettons à un « training » collectif. Retraiter constamment les matériaux produits en un mouvement circulaire. Ce que la littérature doit faire : raconter des histoires, produire des mythes, aller les chercher là où ils se nichent. Qui a ouvert la route ? Shakespeare, Karl Marx, Dashiell Hammett, Akira Kurosawa, Sergio Leone, Sam Peckinpah. Trois années ont été necessaires pour la réalisation de L'œil de Carafa. Un travail éreintant, qui en a toutefois valu la peine. Aucun de nos quatre n'y serait parvenu tout seul. Nous croyons qu'il s'agit d'un opération anormale dans le panorama asphyxiant de l'édition italienne, et ce pour de multiples raisons : l'auteur collectif et le pseudonyme, la renonciation partielle au copyright de la part d'un grand éditeur, l'anti-minimalisme, la prédominance de la littérature de genre sur les insupportables autobiographies d'une génération, et enfin l'ambition réaffirmée d'être métaphore, occasion et instrument de conflit social. |