WU MING FOUNDATION: QUI SOMMES-NOUS, QUE
FAISONS-NOUS
Table des
matières
00. Prologue
01. Qui est Luther Blissett. Naissance d'un
héros populaire
02. Curiosités sur Luther Blissett (musique,
discussions, vidéo etc.)
03. Rendre célèbres des artistes
imaginaires
04. Rendre célèbres des cinglés
imaginaires
05. La nuit où Luther Blissett
détourna un autobus à Rome
06. Le roman L'œil de Carafa .
Faire le possible et aller de l'avant
07. Il semblerait que Thom Yorke ait une
nouvelle mission :-)
08. Copyleft ! Depuis 1996
08. Wu Ming. Plus que ce qu'on pouvait
attendre d'une bande d'écrivains
09. New Thing et Guerre
aux Humains en Français: sélection de critiques
10. Un exercice de logique pour les
plus bouchés
11. Le roman Manituana
- premier volume d'un triptyque du XVIIIème siècle
12. Liste incomplète des légendes
urbaines et racontars sur notre compte
13. Bibliographie
Prologue
En 1994, partout en Europe, des centaines d'artistes,
activistes et auteurs de canulars choisissent d'adopter la même
identité. Ils se rebaptisent tous Luther Blissett
et
s'organisent pour déclencher l'enfer dans l'industrie de la culture. Il
s'agit d'un plan quinquennal. Ils vont travailler ensemble pour
raconter au monde une grande histoire, créer une légende, donner
naissance à un nouveau type de héros populaire. En janvier 2000, au
terme du Plan, certains d'entre eux se réunissent sous le nouveau nom Wu
Ming.
Ce dernier projet, bien que davantage tourné vers la littérature et la
narration au sens strict, n'est pas moins radical que le précédent.
Qui est Luther Blissett. Naissance d'un
héro populaire
"Luther Blissett" est un pseudonyme multi-usage – une
"réputation ouverte" - adopté de façon informelle et partagé par une
centaine d'artistes et agitateurs européens depuis l'été 1994..
Pour des raisons qui demeurent inconnues, le nom est emprunté à un footballeur anglais des années 80
d'origine afro-caribéenne. En Italie, entre 1994 et 1999, le Luther
Blissett Project (un réseau plus organisé au sein de la communauté qui
adopte l'identité "Luther Blissett") devient un phénomène très
populaire et parvient à diffuser une légende, la réputation d'un héros
folk. Ce Robin des bois de l'ère de l'information engage une guérilla
dans et contre une industrie de la culture en voie de transformation
radicale (nous sommes aux débuts du web), il organise des campagnes de
solidarité hétérodoxes envers les victimes de la censure ou de la
répression, et – surtout – il orchestre des canulars médiatiques
élaborés comme forme d'art. Il revendique toujours ces canulars et il
explique quels sont les défauts du système qu'il a exploités pour
publier ou transmettre les fausses informations.
Blissett est aussi actif dans d'autres pays, tout particulièrement en
Espagne, en Allemagne et au Royaume Uni.
Le mois de décembre 1999 marque la fin du
Plan Quinquennal. Tous les "vétérans" se donnent symboliquement la
mort. Cet épisode est appelé "le Seppuku" (comme le suicide rituel des
Samouraïs).
La fin du LBP n'implique pas l'extinction de son nom, qui va continuer
de refaire surface au sein du débat culturel et reste une signature
très utilisée sur le web au cours de la première décennie du XXIème
siècle.
Le portrait "officiel" de Luther Blissett est réalisé par Andrea
Alberti et Edi Bianco en
1994. C'est un mélange de photos datant des années Trente et Quarante
(trois grand-oncles et une grand-tante de Wu Ming 1).
Curiosités sur Luther Blissett
(Musiques,
Discussions, Vidéos etc.)
Dans la nuit du 2 au 3 juillet 2006, Piermario
Ciani
est mort. Il n'avait que 55 ans. Ce graphiste, mail-artiste,
photographe, éditeur et auteur de grands canulars était aussi l'un des
fondateurs du Luther Blissett Project. Nous lui avons rendu hommage
ici, ici et ici. Dans la section "Sons" de ce site il y a aussi un
hommage audio à Piermario, retransmis sur Radio Onde Furlane le 5
juillet 2006.
Quiz sur la littérature italienne
publié par le quotidien anglais The Guardian.
Jetez un coup d'œil à la première question.
La
fin du Plan Quinquennal fut célébrée avec la sortie de Luther
Blissett: The Open Pop Star,
une compilation sur cd pleine de musique électronique déviante, de voix
mystérieuses et de cut-up à l'état sauvage. Parmi les artistes
impliqués il y avait Merzbow, le bruiteur
nippon incroyablement prolifique. Deux morceaux sont en écoute libre ici.
Luther Blissett (avec un seul t) est
le titre d'une chanson de l'album Cabin in the Sky
du groupe Tuxedomoon
(2004)
En
Grande Bretagne, l'écrivain Stewart Home,
auteur de Come Before Christ and Murder Love et 69
Things to Do with a Dead Princess, fut l'un des premiers
utilisateurs du pseudonyme multi-usage.
Cliquez ici et écoutez Stewart Home
déclamer sa nouvelle Cheap Night Out, en live à
l'Institute of Contemporary Arts à Londres, le 28 août 1997 (mp3).
Cliquez ici et écoutez Luther
Bissett (le footballeur) parler de sa saison en Italie
et de l'utilisation de son nom comme pseudonyme collectif (ram – Real
Player)
Cliquez ici et regardez Luther
Blissett (toujours le fooballeur) qui répond à une
question sur le Luther Blissett Project.
Cliquez ici et écoutez The
Luther Blissett Enigma, une pièce de théâtre radiophonique
retransmise par l'Australian Broadcasting Corporation en 2001.
|
Rendre célèbres
des artistes imaginaires
La voie du
guérillero : Une sélection de canulars de Luther Blissett / 1
Le
monde des canulars médiatiques de Luther Blissett est plein d'artistes
imaginaires, parce que le monde de l'art regorge de gobe-mouches,
cibles privilégiées pour quiconque a l'intention de diffuser des
légendes.
Janvier 1995. HARRY KIPPER (un
homonyme qui n'a rien à voir avec ce gars là),
artiste conceptuel anglais, disparaît à la frontière italo-yougoslave
pendant un tour d'Europe sur son VTT, alors qu'il avait l'intention,
dit-on, de tracer le mot ‘ART' sur la carte du continent. La victime de
cette farce est Chi l'ha visto, une célèbre émission qui recherche des
personnes disparues et qui est retransmise en prime time sur la
troisième chaîne publique italienne [l'équivalent de l'émission
française Perdu de vue]. L'équipe de Chi l'ha visto se lance sur les
traces de l'artiste-cycliste, et dépense sans compter l'argent des
contribuables à la recherche d'une personne qui n'a jamais existé. Elle
arrive jusqu'à Londres et se ridiculise. Elle évite que le reportage
soit diffusé grâce à une oreillette défectueuse, le jour même où Luther
Blissett revendique la farce.
Juin 1995. LOOTA est une femelle
chimpanzé
dont les tableaux seront exposés à la Biennale de Venise. Victime
d'expériences sadiques dans un laboratoire pharmacologique, Loota a été
sauvée par un commando de l'Animal Liberation Front. Elle est ensuite
devenue une artiste de grand talent. Certains journaux rapportent les
faits. Dommage que Loota n'existe pas, mais au fond, quel est le
problème ? A la Biennale, les visiteurs déçus peuvent se
consoler
avec un tas d'ordures produites par des êtres humains.
1998-99. DARKO MAVER
est un sculpteur et un performeur serbe très controversé. Ses œuvres
sont des mannequins grandeur nature qui reproduisent les traits de
cadavres torturés, mutilés et couverts de sang. Son art est soumis à la
censure du régime, et l'artiste se retrouve à un moment donné
emprisonné pour "conduite anti-sociale". En Italie, des images des
œuvres de Maver sont exposées à Bologne et à Rome. Un appel à la
solidarité envers l'artiste est publié sur de prestigieuses revues
d'art sur papier glacé. Certains critiques d'arts de renom affirment
même connaître l'artiste en personne. Quand "Darko Maver" meurt dans sa
cellule pendant un bombardement de l'OTAN, une photo de son corps est
publiée sur le web. A un détail près: cet homme n'est en aucun
cas
"Darko", puisqu'il s'agit en réalité d'un membre sicilien du LBP. La
revendication arrive aux médias quelques semaines après le Seppuku de
Blissett. Les "œuvres" de Maver étaient des photographies de cadavres
authentiques, trouvées sur rotten.com. C'est le dernier grand canular
du LBP, et c'est la naissance d'un nouveau groupe : 0100101110101101.org.
Rendre
célèbres des cinglés imaginaires
La voie du
guérillero : une sélection de canulars de Luther Blissett / 2
Le canular le plus complexe et le plus élaboré de Luther
Blissett a lieu dans le Latium en 1997,
grâce à l'œuvre de plusieurs dizaines de personnes. L'affaire dure un
an et touche le thème de la panique morale liée aux messes noires et au
satanisme. Des adorateurs du Démon et des "chasseurs de sorcières"
chrétiens font leur apparition dans les bois attenants à la commune de
Viterbe : ils y laissent des traces (physiques, audiovisuelles
et
"littéraires") de leurs altercations et de leurs poursuites. Les médias
locaux et nationaux gobent tout sans vérifier aucune des informations,
bien des politicards sautent à pieds joints dans la marre de la
paranoïa de masse et le summum est atteint quand une bande vidéo - plus
que bâclée - d'un rite satanique est retransmise par Studio aperto sur
Italia 1, jusqu'à ce que Luther Blissett finisse par revendiquer le
tout, preuves à l'appui.
La "contre-information homéopathique" : en injectant dans les
médias une forte dose de factice qu'il produit lui-même,
Luther
Blissett démontre l'insuffisance de professionnalité de bien des
chroniqueurs et le manque de fondement de la panique morale.
Le "canular de Viterbe" est reconstruit étape par étape dans cet article
[italien] apparu à l'époque sur le site internet de La Republica. Il a
ensuite fait l'objet de plusieurs études dans des articles de
sociologie et de médialogie. On trouve même un résumé de l'affaire dans
la section V du "Rapport Eurispes 1999", à l'intérieur d'une
fiche approfondie et détaillée sur Luther Blissett. A vrai
dire, selon cet
article paru sur la revue française Multitudes,
l'inclusion dans le "Rapport Eurispes" d'une fiche sur Luther Blissett
fut elle-même une farce Blissettienne ! Le "canular de
Viterbe"
faisait partie d'une plus vaste campagne d'information, qui comprenait
aussi une longue contre-enquête sur le procès intenté aux Bambini di
Satana [les Enfants de Satan], un cas journalistico-judiciaire qui
bouleversa Bologne dans les années 1996-98, avec des accusations de
violence sexuelle, pédophilie, abus rituels et homicide (bien que… à
l'encontre d'inconnus).
Dans le livre Bambini di Satana - processo al diavolo. I
reati mai commessi da Marco Dimitri (Nuovi Equilibri /
Stampa Alternativa, 2006, téléchargeable
gratuitement ici ou en
vente ici),
Antonella Beccaria reconstruit le rôle d'opposition du Luther Blissett
Project face à la "monstrification" des accusés opérée par les médias.
Des accusés qui sont par la suite innocentés.
La nuit où Luther
Blissett détourna un autobus à Rome
Lors d'un contrôle des titres de transport sur un train
italien, quatre personnes n'ont pas leur billet. Jusque là, rien
d'insolite, bien au contraire. Sauf qu'au tribunal (au…
tribunal ?), au moment de décliner leur identité, tous les
quatre
disent s'appeler "Luther Blissett".
Il y a encore peu de temps, en cherchant "Luther Blissett" sur le web,
on tombait tôt ou tard sur un texte en anglais qui contenait cette
anecdote insensée. Il s'agit d'une version très déformée d'un fait
réel, qui s'est diffusée grâce à la paresse de certains journalistes de
Londres et grâce aux stéréotypes sur l'Italie dont ils se nourrissent
(et dont ils nourrissent leur public). D'accord, notre pays a certaines
lacunes dans le domaine de la libéralité et regorge de praesumptio
culpae et d'abus des forces de l'ordre, mais quand même, on n'a jamais
vu quelqu'un finir au tribunal parce qu'il était dépourvu de billet de
train !
Mais en fait, l'histoire est beeaaauucoup plus intéressante. Il ne
s'agit pas d'un train, mais d'un bus de nuit. Les faits ont lieu le 17
juin 1995.
Plusieurs dizaines de ravers/performeurs occupent et en quelque sorte
"détournent" le moyen de transport public, armés de grosses radios et
de ghettoblasters. La fête mobile, appelée "Bus Néoïste", dure un bon
moment, jusqu'à ce que la police décide de bloquer la rue et d'arrêter
le véhicule.
Quand les ravers descendent du bus, une querelle éclate entre ces
derniers et les policiers, et l'un des agents tire même à trois
reprises (heureusement en l'air).
Comme la fête est retransmise en direct sur les fréquences d'une radio
de Rome (Radio Città Futura), et comme un envoyé spécial est à
l'antenne par liaison téléphonique, les coups de feu sont entendus par
des milliers d'auditeurs (Cliquez
ici pour écouter le mp3, 128k, provenant du cd Luther
Blissett: The Open Pop Star, WOT4, 2000).
Dix-huit personnes sont arrêtées. Sur le moment, certaines d'entre
elles déclarent s'appeler Luther Blissett, mais aucune ne confirmera
cette identité au commissariat. Les médias couvrent largement
l'épisode, qui montre à quel point le nom "Luther Blissett" est en
train de pénétrer certaines sous-cultures juvéniles comme un fil à
couper le beurre.
On ne sait toujours pas comment le tohu-bohu en question a bien pu se
transformer en l'histoire abracadabrantesque des "quatre hommes dans le
train". Il y a bien eu un procès pénal à charge de quatre personne,
oui, mais sûrement pas parce qu'elles n'avaient pas leur billet (et
encore moins… de train). Les accusations étaient : résistance,
outrage, menaces et lésions sur agent de police. Les accusés furent
définitivement acquittés en 2002.
Le Roman L'œil de Carafa
Faire le possible et aller de
l'avant
Le
roman L'œil de Carafa
est écrit par quatre des membres de la colonne bolonaise du Luther
Blissett Project, en tant que contribution au projet, et il est publié
en Italie au mois de mars 1999. Il est traduit dans les années
suivantes en anglais ( Royaume Uni/Commonwealth et Etats Unis ),
espagnol, allemand, hollandais, français, portugais (Brésil), danois,
polonais, grec, russe, tchèque et coréen.
Le roman est situé au XVIème siècle en Europe centrale, pendant les
soulèvements paysans et les révoltes populaires qui faillirent faire
"dérailler" la réforme protestante, avant d'être noyés dans le sang
avec le consentement enthousiaste de Luther.
McKenzie Wark (et non pas "Wark
McKenzie"
comme certains l'appellent en Italie… y compris son éditeur) auteur
d'Un manifeste Hacker, conclut sa critique de L'œil de Carafa par ces
mots :
« L'œil de Carafa est dans un certain
sens un
livre optimiste… Le thème est celui d'une résurrection grâce à la
narration. La narration rend encore possible le retour des marginaux et
des exclus du pouvoir. Un retour non pas en tant que victimes, mais
comme nouveau genre de héros. Le genre de héros qui travaille en
situation, fait de son possible, et recommence sans cesse. Un Luther
Blissett. »
Il semblerait que Thom
Yorke ait une nouvelle mission :-)
Dans une interview
des Radiohead, parue le 9 décembre 2007
sur l'Observer Music Monthly, on peut lire:
Thom est en train
de lire L'œil de Carafa,
le livre du mystérieux groupe anarchiste italien Luther Blissett [ehm].
J'essaie de lui dire que moi aussi j'ai essayé de le lire.
« Putain, mais c'est génial ! Mais ma copine, tu
sais, c'est
sa spécialité, elle m'a tout expliqué, du début à la fin. Les carnages
faits par l'Eglise, les histoires du Moyen âge. Des histoires
compliquées. Je veux en faire un film. C'est mon prochain
objectif. »
Tu utiliseras les recettes de In Rainbows ?
« Mmm-mm » fait Thom Yorke en remuant la tête.
« J'en
doute. Ça suffirait à peine pour le ravitaillement. »
Copyleft!
Depuis
1996
Outre la complexité de l'intrigue et le contenu
allégorique,
la mention "copyleft" inscrite dans le livre fait parler du roman. Ceux
qui s'en étonnent sont ceux qui ignorent que la pratique critique du
"copyright comme nous l'avons connu" a toujours fait partie intégrante
de toutes les activités blissettiennes (plusieurs années avant les
licences Creative
Commons, qui fourniront une première (mais précaire) synthèse
de biens des parcours).
Dans l'interview à WM publiée dans le livre de Antonella Beccaria Permesso d'autore:
« Pendant la seconde
moitié des
années Quatre-vingt et la première moitié des années Quatre-vingt-dix,
en Occident et surtout en Italie, on assiste à la montée d'un certain
engouement pour le concept "no copyright". C'est avec ce titre que
ShaKe [maison d'édition milanaise] publie une anthologie de textes sur
le sujet, sous la direction de Raf Valvola. C'est un sous-bois aux
milles racines : la culture "do it yourself" du punk rock (sur
toutes les couvertures de disques hardcore-punk italiens on trouve le
slogan "Fuck SIAE" [la SIAE est la société italienne de gestion des
droits d'auteurs]) ; le monde des autoproductions et des
fanzines
(de photocopie en photocopie, ce sont les fanzines qui diffusent le
célèbre détournement du logo des maisons de disques anglaises, une
cassette audio en forme de tête de mort avec le slogan : "Home
Taping is Killing Music, and It's Illegal" qui devient : "Home
Taping is killing Business, and It's Easy"), le réseau de l'art
underground, de l'art xerox, du mail art, du néoisme (en 1988-89
Stewart Home et Florian Cramer organisent les festivals du
plagiat) ; le monde du cut'n'mix qui, venant de la dub et du
premier hip-hop, arrive à la "house music" au sens large, musique faite
maison, avec des échantillonneurs et d'autres technologies enfin
disponibles sur le marché ouvert aux particuliers. Le Luther Blissett
Project naît en 1994 au croisement de toutes ces influences et, plus en
amont, il prend sa source dans d'autres courants de pensée (Le
proto-surréaliste Lautréamont disait : « le plagiat
est
nécessaire, le progrès l'implique »), encore en amont dans la
culture populaire de l'époque féodale, et toujours plus en amont, dans
le classicisme et dans l'antiquité ; il tire en fait son
origine
de courants de pensée qui existaient avant que les institutions de
propriété intellectuelle ne fassent leur apparition.
Voici la mention présente sur les livres de Blissett/Wu Ming à partir
de L'œil de Carafa :
« La reproduction totale ou partielle de l'œuvre ainsi que sa
diffusion par voie télématique sont autorisées, sous condition de fins
non commerciales et de reproduction de la présente mention. »
Les écrits de Wu Ming sur copyright, copyleft et propriété
intellectuelle sont archivés ici.
DECLARATION DE DROITS (ET DE DEVOIRS) DES
NARRATEURS
|
Wu Ming
Plus que ce
qu'on pouvait attendre d'une bande d'écrivains
Au mois de janvier 2000 un
cinquième écrivain
rejoint les quatre auteurs de L'œil de Carafa. C'est un nouveau groupe
qui voit ainsi le jour, Wu Ming (nom complet : Wu Ming
Foundation).
Wu
Ming »
est une expression chinoise qui signifie « sans nom »
(無名) ou bien
« cinq noms » (伍
名), selon
la façon dont on prononce la première syllabe. Le nom du groupe est
entendu aussi bien comme hommage à la dissidence ("Wu Ming" est une
signature très commune parmi les citoyens chinois qui demandent la
démocratie et la liberté d'expression) que comme refus de la machine à
fabriquer de la célébrité, sur la chaîne de montage de laquelle
l'auteur devient une star. "Wu Ming" fait aussi référence au troisième
vers du Dàodéjing (Tao Te Ching): "Wu ming tian di zhi
shi",
« Sans nom est l'origine du ciel et de la terre ».
"Wu Ming"
(??) peut aussi signifier "ne pas comprendre" en cantonais (merci,
Wesley!).
Strictement parlant, nous ne sommes pas anonymes. Nos noms ne sont pas
secrets. Nous utilisons cependant cinq noms de plume composés du nom du
groupe plus un numéro, suivant l'ordre alphabétique de nos noms de
famille. La groupe est formé par : Roberto Bui
alias Wu Ming 1, Giovanni Cattabriga
alias Wu Ming 2, Luca Di Meo alias Wu
Ming 3*,
Federico Guglielmi alias Wu Ming 4
et Riccardo Pedrini alias Wu Ming 5.
Entre 2000 et 2006 l'œuvre la plus ambitieuse de Wu Ming a été 54,
un roman comprenant des dizaines de personnages (parmi lesquels Cary
Grant et le Maréchal Tito) situé en 1954, jusqu'à présent traduit en
anglais, hollandais, espagnol et portugais. Le livre a aussi inspiré le
groupe folk-rock des Yo Yo Mundi, dont l'album concept (lui aussi
intitulé 54) est sorti début 2004.
Les membres du groupe ont aussi écrit des livres "en solo". Dans
l'ordre : Havana Glam de Wu Ming 5
(2001), Guerre aux humains de Wu Ming 2 (2004 -
publié en France chez Métailié, 2007), New Thing
de Wu Ming 1 (2004 - publié en France chez Métailié, 2007), Free
Karma Food de Wu Ming 5 (2006) et le meilleur de tous, Stella
del mattino de Wu Ming 4 (2008).
* En mai 2008 Luca Di
Meo a quitté le groupe. Depuis ce moment là, Wu Ming est un quartet.
Le groupe est aussi co-auteur du scénario de Lavorare
con lentezza (mise en scène de Guido Chiesa, 2004, ici,
le site officiel).
En 2007, une anthologie de jazz radical des années Soixante est sortie
sous la direction de Wu Ming 1 : The Old New Thing
(2 cd + livre).
Un exercice de
logique pour les plus bouchés
Nous invitons ceux qui, encore aujourd'hui, après tant
d'années, continuent de proférer des phrases du genre :
1) « Les 5 écrivains qui se cachent derrière le pseudonyme
collectif "Wu Ming"… »
2) « Quel sens y a-t-il à ne pas signer de leur propre nom
alors
que tout le monde sait comment ils s'appellent en
réalité ? »
à effectuer les substitutions suivantes :
"97" au lieu de "5" : "musiciens" au lieu de
"écrivains" ; "London Symphony Orchestra" au lieu de "Wu Ming".
L'absurdité des précédentes affirmations devraient sauter aux yeux.
Mais si des doutes subsistaient voici une citation qui fait date (in
Giap n.1, IVème série, 21/01/2003):
"Wu Ming" est le nom d'un
collectif de cinq
personnes, d'un groupe, comme les "Rolling Stones" ou "I Giganti" ou
"Premiata Forneria Marconi" […] personne n'a jamais accusé un groupe
rock de lâcheté parce qu'il utilisait un nom collectif, sinon tout le
monde devrait faire comme Emerson, Lake & Palmer, ou comme
Crosby,
Stills, Nash & Young. Vous imaginez un livre signé "Bui,
Cattabriga, Di Meo, Guglielmi & Pedrini"? […] Le nom de ce
groupe a
une signification en chinois, qui est "anonyme", mais ça ne veut pas
dire – littéralement, platement – que nous sommes des paranoïaques de
l'anonymat ; cela signifie que nos noms et notre éventuelle
présence dans le misérable star système du milieu du roman italien ne
devraient avoir d'importance ni à nos yeux, ni à ceux de nos lecteurs.
Si les noms des groupes devaient être interprétés littéralement, alors
Sting, Andy Summers et Stewart Copeland devraient être considérés comme
de véritables policiers, et nous pourrions aller acheter du pain à la
boulangerie Marconi. Au sein de notre groupe, chacun de nous utilise
une sorte de "nom de plume", qui est composé du nom du groupe plus un
numéro, suivant l'ordre alphabétique de nos noms de famille […].
L'histoire du rock (et surtout du punk) est pleine à craquer de groupes
dont les membres avaient un pseudonyme : dans les Sex Pistols
il y
avait "Johnny Rotten" et "Sid Vicious", qui en réalité s'appelaient
John Lydon et John Beverley. L'usage de pseudonymes, hétéronymes, noms
de plume, [est] constant et omniprésent à toutes les époques… Dans le
rock il s'agit de milliers de cas, dans la littérature (Ed McBain et
Evan Hunter sont deux écrivains différents mais ils sont aussi la même
personne, sans parler de Pessoa)...
Le roman Manituana
Premier volume d'un triptyque du XVIII° siècle
Le roman collectif Manituana
est arrivé dans les librairies italiennes le 20 mars 2007 [et sera
disponible en 2008 chez les libraires français]. Nous y avons travaillé
depuis fin 2003. L'histoire se passe dans les années 1770, des deux
côtés de l'Atlantique et c'est le premier volume d'un triptyque qui va
nous occuper au moins jusqu'en 2012. Manituana est aussi une partie
d'un projet transmédia de "construction d'un monde", une narration qui
se poursuit sur différents médias et dans différents langages (musique,
bande dessinée, vidéo etc.). Le pivot de ce projet est le site
officiel, manituana.com.
En mai
2007 huit groupes de l'étiquette indépendante casasonica (fondée par
les Subsonica) ont enregistré autant de morceaux inspirés de Manituana,
une
des bandes son possibles du livre.
Ah, on oubliait : avec Manituana nous
avons atteint notre
petit record de placement dans les classements :-)
Liste
incomplète de légendes urbaines et racontars sur notre compte
"Incomplète" parce que la liste complète serait plus
longue
que Anna Karenine. On trouve pas mal de gens en proie à la paranoïa
"Blissett/Wu Ming" qui passent une grande partie de leur existence à
divulguer des infamies dont nous serions responsables. Il y a ceux qui
s'y adonnent parce qu'ils sont restés trop longtemps sans chapeau au
soleil, et il y a ceux qui le font pour le simple plaisir de médire.
Nous avons l'habitude de nous voir attribuer les positions et les
intentions les plus étranges et d'être aperçus un peu partout, encore
pire que des ovnis. Nous sommes derrière chaque buisson, derrière
chaque pseudonyme utilisé sur le web, derrière chaque opération
marketing éditoriale conçue dans notre pays durant ces dix dernières
années, et bien entendu nous sommes les commissionnaires et/ou les
exécuteurs de chaque complot imaginable (macro et micro, de gauche, de
droite et de centre, juif et/ou antisémite etc.). Sur le web on trouve
vraiment de tout, comme ce
pamphlet clérico-fasciste de 1997
[en italien], mais sur indymédia certains ont écrit des choses encore
plus extrêmes, il y a un même un journaliste qui nous accuse de le
persécuter par tous les moyens. Selon ses dires nous aurions carrément
manipulé Google pour associer ses nom et prénom à l'URL de sites
pornographiques et nous serions les vrais auteurs de 100 coups de
brosse avant d'aller dormir de Melissa P.!
On a aussi entendu parler d'un type qui doit avoir vu Lavorare con
lentezza et confondu auteurs et personnages : ce gars-là
soutiendrait en effet avoir été agressé en 1977 par des individus armés
de barres de fer, et s'être défendu en brandissant un tube de gaz.
Parmi les agresseurs il y avait aussi Wu Ming 1, que notre héros a
frappé au front, l'obligeant à fuir. Tout cela place Re Enzo, à Bologne.
En 1977 Wu Ming 1 vivait à Dogato (province de Ferrare) et fréquentait
le cours préparatoire de l'école primaire "G. Carducci".
Un jour ou l'autre quelqu'un étudiera à fond ces curieux mécanismes
psychologiques et ces phénomènes d'involontaire guérilla marketing en
notre faveur. Nous allons laisser de côté les dérives psychotiques les
plus sauvages des conspirateurs pour nous concentrer sur quelques lieux
communs liés à notre activité.
1. Aux dires de certains, nous
serions en
quelque sorte liés à Umberto Eco et/ou nous aurions été ses élèves,
et/ou Eco aurait collaboré à L'œil de Carafa
et/ou ce serait
même lui qui l'aurait écrit et nous ne serions rien d'autre que des
"prête-sans-noms" et/ou L'œil de Carafa serait un roman semblable au
Nom de la rose.
Nous n'y voyons rien de mal, mais nous tenons à préciser que nous
n'avons aucun lien avec Umberto Eco, nous n'avons pas été ses élèves,
nous n'avions pas son premier roman à l'esprit quand nous nous sommes
lancés à tête baissée dans l'aventure de L'œil de Carafa.
Notre roman nous semble bien différent du Nom de la rose.
L'époque est différente (moyen âge dans un livre, naissance de l'époque
moderne dans l'autre), l'inspiration est différente (le roman policier
classique à l'anglaise d'une part, le roman d'aventures de l'autre), le
contexte et la structure sont différents (unité aristotélique dans un
livre, narration picaresque et vagabonde dans l'autre ; nombre
limité de personnages pour l'un, multitude infinie pour l'autre), les
choix stylistiques sont très différents. Bien sûr, dans les deux livres
on raconte des révoltes, des hérésies et on parle de l'inquisition,
mais alors on pourrait comparer L'œil de Carafa à
Taxi Driver
(dans les deux œuvres on parle de fous et d'exploiteurs) ou L'œil de
Carafa au crack Parmalat (dans le roman on parle de banques et
d'escroqueries).
« Je crains que les journalistes britanniques ne se soient
attachés à cette idée seulement parce que Le nom de la rose
est le dernier livre italien qu'ils ont lu avant le nôtre. »
(Wu Ming 1 interviewé par The Guardian, 28 août
2003). Et bien évidemment, cela vaut aussi pour certains journalistes italiens.
2. Aux dires de certains,
nous serions des
"situationnistes". Et en Grande Bretagne, il y en a qui s'obstinent à
nous définir "anarchistes". Ça nous laisse vraiment très très
perplexes. Ces épithètes ont-ils encore un sens, ou bien est-ce qu'on
les balance sur les gens au petit bonheur la chance, faute de mieux (et
ensuite ils sont repris de bonne foi par d'autres, et considérés comme
justes) ? Nos poétiques et nos stratégies n'ont absolument
rien à
voir avec la théorie de celle qui se définit comme "Internationale
Situationniste", y compris ses héritiers et ses affiliés. Quant aux
anarchistes, nous les respectons (du moins certains), mais notre
histoire est différente.
3. La rumeur court que nous aurions
frappé un
photographe "coupable" de nous avoir immortalisés. La date et le lieu
changent, mais la base des différentes versions est la même. Et bien
cela n'a jamais eu lieu, en aucune circonstance. C'est vrai en revanche
que, comme Awda Abù Tayy dans Laurence d'Arabie
ou King Kong
dans la célèbre scène des flashs, nous n'apprécions guère d'être
photographiés. Nous ne fréquentons même pas les plateaux télé. Nous
sommes timides.
Bibliographie
Q (Einaudi, Turin 1999 - Mondadori, Barcelone 2000 - Seuil, Paris 2001 (title: L'Oeil
de Carafa) - Wereldbibliotheek, Amsterdam 2001 -
Hovedland, Jøbjerg 2001 - Travlos, Athena 2001 - Piper, München 2002 - Conrad, São Paulo 2002 - Heinemann, London 2003 - Harcourt, Orlando, FL 2004 - Wydawnictwo
Albatros, Warszawa 2005)
Asce di guerra (écrit avec
Vitaliano Ravagli, Tropea, Milan 2000)
Havana Glam (Wu
Ming 5, Fanucci, Rome 2001)
54 (Einaudi, Turin 2002 - Mondadori, Madrid 2003 - Vassallucci, Amsterdam 2003 - Harcourt, Orlando, FL 2004)
Esta revolución no tiene rostro
(Acuarela, Madrid 2002)
Giap! (Einaudi, Turin 2003)
Guerra agli umani (Wu
Ming 2, Einaudi, Turin 2004 - Métailié, Paris 2007)
New Thing (Wu Ming 1,
Einaudi, Turin 2004 - Métailié, Paris 2007)
Asce di guerra 2005
(écrit avec Vitaliano Ravagli, Einaudi, Turin 2005)
Free Karma Food (Wu
Ming 5, Rizzoli, Milan 2006)
Manituana
(Einaudi, Turin 2007)
Previsioni
del tempo (Edizioni Ambiente, Milano 2008)
Stella del mattino, (Wu Ming 4,
Einaudi, Torino, 2008)
Dernière
mise à jour : 25 mai 2009
Traduit de l'italien par Estelle Paint (avec
Marco Revelant)
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